Chroniques péruviennes (3) : Renouveaux

Posing Lama

Les cousins français

Je repartais seul de Huaraz, prêt à traverser le parc national de Huascaran à travers ses hauts pics enneigés. À peine quatre kilomètres sortis de la ville, je vois deux cyclistes arrêtés sur le bord de la route, le pouce en l’air. Il s’agit d’un couple de Français, Benjamin et Faustine, tentant d’embarquer dans un camion avec leurs vélos pour revenir où ils avaient dû arrêter 50 kilomètres plus loin, car le dérailleur de Benjamin avait déclaré forfait. Avant même de savoir nos noms, nous étions au courant de notre santé intestinale et même de celle de la Québécoise en vélo que je n’ai jamais rencontrée, mais avec qui j’avais échangé quelques courriels ; ils ont pédalé avec elle trois semaines.

Une heure après les avoir laissés, une tête sort d’un camion et me crie qu’on se retrouvera dans le col. Je ne pourrai les rattraper le jour même, mais le lendemain matin, après quelques kilomètres, j’aperçois une tente non loin de la route. Nous partagerons la route pour un peu plus d’une semaine.

C’est quand même rigolo de pédaler avec des Français. D’abord, de mon côté, ça faisait plutôt du bien de pouvoir partager des histoires, des impressions, des joies comme des inquiétudes dans ma langue. Et eux, comme bons Français, pouvaient se bidonner à volonté de mon accent, et bien sûr, parler de bonne nourriture (et la cuisiner !). Bien qu’en tant que Québécois nous partageons beaucoup avec les Français, j’ai tout de même pu réaliser en voyageant avec eux que je partage certaines choses avec l’Amérique du Sud et qu’eux, non. Par exemple (très sérieux là !) : la moutarde jaune, autrement appelée la moutarde de baseball, et aussi le fait de se retrouver devant son assiette sans couteau, juste une fourchette, sans que cela nous importune vraiment. Parle moi de ça, le bonheur de faire partie de cette nation hybride dans le coin nord-est des Amériques…

 

Le corps qui flanche

Nous nous séparons à Huancayo, après, entre autres péripéties, avoir traversé de la pluie (et de la grêle parfois) à tous les jours, avoir partagé un repas cuisiné sur la terrasse d’un petit hospedaje, s’être fait lancé des roches par des enfants, avoir campé sur le terrain de football d’un camp minier (après la partie qui durera éternellement), et avoir étalé nos tapis de sol dans un petit restaurant à 4 000 mètres d’altitude, où il devait faire aussi chaud à l’intérieur qu’à l’extérieur, mais où au moins il ne ventait pas.

Le couple continuera vers Ayacucho, la route directe vers Cusco, qui passe par 5 cols à plus de 4 000 mètres, entrecoupés de vallées à 2 000 mètres. Des cyclistes venus du sud nous ont parlé des travaux routiers qui nous forceraient peut-être à devoir mettre les vélos dans un camion. Finalement, en allant du nord vers le sud, c’est plus ou moins nécessaire, car les travaux sont dans une descente, et on peut y passer dans le temps où la route est ouverte à la circulation.

Quant à moi, des lettres roses sur ma carte attiraient mon attention depuis un bout : « Highest Pass in the World ». Bon, déjà, on se calmera et parlera du plus haut col accessible par une route du continent (l’Himalaya possède des routes bien plus hautes), et encore faut-il s’entendre sur la définition d’une route. Alors qu’un col en Argentine se définit comme le « plus haut col accessible par une route numérotée », à 4985 mètres, l’Abra Huayraccasa au Pérou, à 5059 mètres, serait le plus haut col accessible par une route entretenue carrossable, bref, où un véhicule peut passer sans trop de problèmes. Des recherches sur Internet me laissent découvrir que le col argentin serait plus haut que son indication originale, alors que ce serait le contraire pour le péruvien, rendant les deux cols à peu près égaux. Mais bon, chose certaine, c’est que c’est haut, et que 5 000 mètres, je n’irai pas jouer là-dedans bien souvent. J’hésitais à y aller, le col étant un peu hors du « circuit principal », mais ces histoires de construction et de cols poussiéreux m’ont convaincu à faire un peu (beaucoup) plus de kilomètres, passer par ce col, mais également rester plus souvent sur des routes pavées par la suite. Et de plus, comme je le dis dans ma dernière vidéo, en retournant vers Cusco ensuite, je passerai ainsi 4 fois de plus la Grande Division Continentale.

Par contre, au lendemain de mon départ de Huancayo (3 260 mètres), en route vers Huancavelica (3 680 mètres) qui sied au pied de la route de 60 kilomètres me menant au fameux col, mon estomac n’a pas le goût de venir avec moi sur la route, je sens mes batteries à plat, j’avance à pas de tortue. J’arrive à Huancavelica exténué.

Je croyais au retour des parasites, me disant que cette fois-ci il sera mieux de consulter avant de prendre un autre médicament. Après a être passé d’un hôpital à une clinique à un laboratoire médical, dans des mésaventures et une désorganisation dont j’éclipserai les détails, j’apprends, au bout de trois jours, que je fais de l’anémie, bref, que mes globules rouges manquent de fer. Je mangerais bien mon vélo, mais j’en ai besoin. On me refile donc des suppléments de fer, je vais me chercher des vitamines pour mieux absorber le tout, et quand l’appétit revient, je me mets à manger 5 repas par jours en essayant le plus possible de prendre de la viande rouge, ayant l’ambition de reprendre un peu de poids également.

En tout, je resterai une semaine à Huancavelica. Au moins, c’est un chouette endroit pour tomber malade. Capitale de sa région, mais tout de même une petite ville, la place centrale et les rues environnantes sont totalement piétonnes, débordant de petits restaurants et de jugueria, servant toutes sortes de jus de fruits frais. L’absence de trafic au centre (et d’éternels klaxons et alarmes) diminue considérablement la pollution auditive. Après une semaine, j’ai retrouvé le moral et la motivation, je n’étais plus essoufflé en montant à ma chambre au troisième étage et j’ai des fourmis dans les jambes : il est temps de continuer.

 

Du ciel à la mer

Déjà à 3 700 mètres, il faut s’habituer à se mouvoir sans trop s’essouffler, et heureusement ma semaine m’a permis de m’acclimater un peu. En montant tranquillement, mais longtemps, à travers les lamas et les alpagas, un mal de crâne commence à s’installer. C’est le même mal de crâne que j’avais dans le parc national de Huascaran, passant un col à plus de 4 700 mètres. Je n’ai d’autres choix que de l’endurer, il partira lorsque je me mettrai à descendre.

Je passerai la journée à monter, m’arrêtant souvent pour me reposer et m’hydrater. Surtout, ne pas aller trop vite. Garder mes forces. Ce n’est pas le col le plus techniquement difficile que j’ai monté, mais l’altitude n’aidait pas.

En voyant au loin l’affiche indiquant le sommet du col, je suis pris de tremblements. J’y suis. Je ne peux retenir les larmes. Des larmes d’un peu de tout. Des larmes de douleurs, des larmes de fatigue, des larmes de fierté, des larmes de contemplation de ce paysage silencieux dans lequel je me suis amené, à plus de 5 000 mètres, entouré de sommets enneigés se colorant avec le coucher de soleil. Emotional landscape, comme dirait Björk. J’ai atteint le plus haut point de mon périple. Et il n’est pas question que je bouge d’ici avant le lendemain matin.

Une petite dépression me permet d’installer ma tente à l’abri de la route, de toute façon seulement utilisée par des camions qui sortent le minerai d’une mine plus bas ou revenant vide. J’enfile tous les vêtements que j’aie et m’apprête à passer une nuit bien fraîche. Le lendemain, je casserai la glace formée dans mes bouteilles d’eau et je me préparerai à déjeuner sous 12 paires d’yeux ébahis. Des hommes travaillant sur la route m’ont aperçu et ont observé, épatés, les moindres de mes gestes et de mon équipement de camping. D’abord, ils se demandaient comment j’ai pu me réveiller vivant et regardaient ensuite mon sac de couchage, ma tente, ma cuisinière avec beaucoup de curiosité, en mâchant leurs feuilles de coca entre deux questions et commentant entre eux en quechua.

Je n’aurai pas besoin de coca aujourd’hui, le mal de crâne ayant disparu et m’apprêtant à descendre. J’arrive rapidement à un plateau où se trouvent plusieurs lacs d’un bleu profond, pour ensuite arriver à Santa Ines. De là, une route qui semblait en terre sur ma carte est en fait pavée et mène directement vers Pisco… sur le bord de la mer.

Je ne pensais pas descendre jusque-là. Je pensais plutôt passer à Rumichaca, dans une vallée, et remonter un col dans les 4 000 mètres vers une route qui m’amènera directement à Ica. Mais en voyant cette route, en voyant sur ma carte que je ne remonterai presque pas pour atteindre le dernier petit col avant de descendre vers la mer, mon vélo ne m’a même pas demandé mon avis et s’est lancé tout seul vers cette route. Au diable les kilomètres supplémentaires, je descends jusqu’au bout !

Retourner à zéro. Recommencer. À la fin de la journée, j’avais descendu quelque 4 200 mètres et fait 168 kilomètres. Il ne me restera que 60 kilomètres le lendemain, passant des vignobles dans cette vallée bien large, pour arriver à la côte. Au Pacifique. À cette eau salée dont mon imagination a reniflé déjà 70 kilomètres avant d’y arriver cette odeur oubliée. Je remonterai, bien évidemment, la Sierra me rappellera, mais comme mon épisode dans le bassin amazonien, il sera bon de changer pour quelques centaines de kilomètres, cette fois-ci sur le bord de l’océan, dans le désert, à travers les dunes de sable.

Huayraccasa

 

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