Province de Santa Cruz, Argentine
Traverser la frontière sur la rive nord du lac General Carrera/Buenos Aires s’est fait sous les yeux étonnés des gendarmes voyant un étranger passer par ici, au point où ils ne savaient pas trop quoi faire de mon passeport (et surtout de mon reçu de frais de réciprocité, type de visa sans paperasse ni refus pour les Canadiens, États-Uniens et Australiens) dans le petit bureau sans ordinateur. Il semble qu’ils ont plutôt l’habitude de seulement lever la barrière aux cow-boys chiliens et argentins vivant aux alentours. Je récolte tout de même rapidement mon étampe et me voilà de retour sur la route de terre. Si c’est toujours le même lac sur ma droite, c’est cependant tout qu’un autre paysage qui se dessine devant moi. Comme l’on peut le voir sur une vue satellite du lac, la frontière a été tracée où s’arrêtent net les montagnes. De côté argentin s’étale la pampa. Poussé par un bon vent, j’arriverai rapidement à Perito Moreno malgré les cailloux et le sable.
Guillermo et Christian ont traversé la frontière sur la rive sud du lac, après avoir pris le traversier entre Puerto Ibañez et Chile Chico. Le poste frontalier est plus habitué aux touristes, mais entrer en Argentine n’est rarement un grand souci et se fait rapidement. Cependant, cette fois-ci, ils ont eu la chance d’être « choisis » par une douanière formatrice pour montrer aux fonctionnaires de l’endroit comment faire un travail respectant chaque norme et procédure. Deux heures d’excès de zèle plus tard, Guillermo et Christian se séparent au village argentin de Los Antiguos. Christian empruntera une route de terre le long de la frontière alors que Guillermo fera les derniers 60 kilomètres à Perito Moreno, où je le rejoindrai chez un hôte Warmshower.
Démystifions Perito Moreno. La province de Santa Cruz dans laquelle nous sommes comporte le parc national Perito Moreno, le glacier Perito Moreno qui ne se trouve pas dans le parc national homonyme, et la ville de Perito Moreno, qui se trouve à plus de 700 kilomètres du glacier. Pratiquement chaque ville de la Patagonie argentine a une rue en l’honneur de ce scientifique, naturaliste, politicien, botaniste, explorateur et géographe qui a joué un grand rôle dans la région. Nous arrivons donc à la ville de Perito Moreno, avec l’objectif de se rendre en huit jours à El Calafate près du glacier Perito Moreno. Mais avant tout, une petite journée de repos… ah! et puis une autre… et encore une autre chez nos merveilleux hôtes à partager bon temps à l’intérieur d’une chaude maison en ce début d’automne.
Avec ce temps passé à Perito Moreno, nous ne pensions pas revoir Christian, mais quelle surprise, au matin de notre troisième journée de route, de le voir arriver alors que nous levions le camp dans ce qui devait être une cimenterie temporaire lors des travaux d’asphaltage de la route. C’est reparti à trois !
Sur ma carte, la route 40 paraissait composée de longues lignes droites non pavées. Au courant des dernières années, beaucoup de travaux ont été réalisés et entre Perito Moreno et El Calafate. Il ne restait lors de notre passage qu’environ 120 km de gravier dont les derniers 30 kilomètres était en construction. La pampa est beaucoup moins humide que la Carretera Austral, mais l’élément perturbateur ici est le vent. Alors qu’on nous avait prévenus du pire à propos du vent latéral qui nous forcerait à pousser le vélo même si la route est plate, nous nous sommes retrouvés dans une espèce d’accalmie générale dans la région. Le vent s’était arrêté depuis une semaine. En effet, les vents très forts sont généralement caractéristiques de l’été, de décembre à mars. Comme quoi être tard dans la saison a parfois ses avantages. Mais bien sûr, bien que durant la journée la température est parfaite pour pédaler, la fraîcheur tombe rapidement et les nuits sont froides, sans parler du soleil qui se couche cinq minutes plus tôt que le jour précédent plus nous allons vers le sud et nous approchons du solstice d’hiver.
Si nous ne campons pas directement aux côtés de la route, il est possible de faire halte aux bâtiments de la Vialidad, situés entre les quelques villages du parcours, où en hiver habite et travaille l’équipe de déneigement des routes. Le reste de l’année, c’est personnel réduit et l’homme solitaire étant de garde offre gentiment de l’eau, un endroit à l’abri du vent pour mettre la tente et cela si on ne vous offre pas de dormir à l’intérieur. C’est à la Vialidad de Tamel Aike, alors que nous mastiquions de la viande de cheval, qu’arrive Gustavo, un Argentin rencontré déjà deux autres fois auparavant, avec qui nous n’avions pas eu l’opportunité de partager la route toutefois. Le jour suivant, c’est à quatre que nous arriverons à Gobernador Gregores en pleine feria, où les gauchos, les cowboys des environs, se rassemblent lors d’activités équestres. Gustavo restera plus longtemps à Gregores et il ne nous restera que trois jours à partager avec Christian, qui ira à El Chaltén alors que nous continuerons directement vers El Calafate.
De là, nous nous payons un petit voyage au glacier Perito Moreno. Le prix d’entrée vient tout juste d’augmenter, mais bon, il ne faut pas hésiter à aller voir le glacier de ses yeux… et aussi de ces oreilles. S’il peut être difficile de saisir les proportions du monstre de glace en photo, l’immensité du lieu laisse le touriste sur place également perplexe face à l’ampleur du phénomène. Soixante mètres de haut, 5 kilomètres de large et 14 kilomètres de long, le glacier Perito Moreno avance sur le lac Argentino jusqu’au point de parfois le couper en deux, jusqu’à ce que la montée des eaux du côté bloqué rompe la paroi de glace; un phénomène qui se répète en moyenne au 4 à 5 ans. Nous sommes bien petits dans ce monde. Un réseau de passerelles métalliques surélevées permet d’apprécier la vue tout en protégeant la fragile végétation du flanc du lac face au glacier. Le plus spectaculaire est les mini-tsunamis, les rugissements et les craquements que produit le glacier lorsque d’énormes blocs de glace se détachent de la structure. La journée était merveilleuse, dégagée, ensoleillé et sans trop de vent : nous passerons 6 heures à apprécier le spectacle avec notre pique-nique. Si en matinée la lumière est meilleure pour prendre des photos, les autobus quittent généralement tôt en après-midi et le site est par la suite beaucoup moins achalandé.
Après cela, de retour dans la pampa, avec destination Puerto Natales, au Chili. Un après-midi, le vent a surpris, rugissant tellement dans les oreilles et déséquilibrant ma monture que je voulais m’arrêter à chaque canalisation sous la route pour vouloir prendre une pause de vent. Ceux qui y goûtent sans arrêt plus tôt en saison doivent définitivement développer une carapace psychologique face à ce compagnon imposant.
Il y a deux postes frontaliers pour aller à Puerto Natales. Cerro Castillo, près du parc de Torres del Paine comporte un petit segment de gravier, mais s’approche un peu plus des grands et fameux pics du parc national. J’ai opté passer par Rio Turbio, plus au sud, passant une demi-journée de plus en Argentine, montant les rues de cette étonnante ville industrielle au milieu de nulle part, avec en prime en l’entrée de la ville une énorme centrale thermique en construction pour donner de l’emploi aux travailleurs des mines de charbon des alentours. Quelques kilomètres à la sortie du village, j’arrive au col qui sert de frontière. D’ici, je vois la mer et s’entame un cinquième et dernier segment de route au Chili.