Nicaragua : rencontres, déchets et détours

Esteli mural

J’aurai parcouru à peine 700 kilomètres au Nicaragua mais j’y serai resté cinq semaines ; pour prendre des vacances, si on peut le dire ainsi, pour faire une autre période de volontariat et pour voir plus que la ligne droite.

L’entrée au Nicaragua

Rappelons que je suis entré au Nicaragua toujours avec ce problème de roue libre coincée sur mon moyeu. La route des montagnes vers Estelí était beaucoup plus fraîche que l’autre route dans les basses terres vers León, mais les descentes étaient fatigantes, suivant le rythme des pédales qui ne pouvaient s’arrêter.

Changement de regards, changements d’attitude, changement d’accent. Quatre fois lors de ma première journée on m’a dit : « T’arrives du Honduras ? On ne t’a pas volé ? On ne t’a pas attaqué ? » Il semble se propager plusieurs histoires d’horreur à propos de leur voisin. J’explique que non, que tout a bien été, qu’une femme m’a offert de l’eau alors que je réparais un rayon cassé, qu’un livreur de pizza à motocyclette m’a guidé dans Choluteca sans rien demander en retour, que oui, certains yeux s’intéressaient à mes sacoches, mais personne ne m’a sauté dessus en tentant de me les arracher. De toute façon, on s’habitue à ces histoires : si ce n’est pas dans le pays d’à côté, c’est dans le village voisin. Toujours plus dangereux ailleurs. Surtout quand on n’y est jamais allé.

Quelle surprise en arrivant dans une auberge de jeunesse à Estelí de retrouver Tanel, l’Estonien avec qui j’ai voyagé trois jours dans le coin de l’isthme de Tehuantepec au Mexique, attablé devant une moitié de melon d’eau. Alors que je m’arrêtais en cours de route pour faire du volontariat au Guatemala et au Salvador, il a vagabondé au Yucatan, au Belize, au nord du Guatemala et à travers tout le Honduras. Le confort du lieu l’a fait tomber malade après sa traversée du Honduras. J’ai aussi tendance à tomber malade lorsque j’arrive dans un lieu qui le permet, c’est-à-dire une toilette propre et proche, un lit confortable, de l’eau courante et une douche chaude : comme si le corps savait que ce n’est pas le moment autrement.

Nos routes ne faisaient pas chemin commun, et j’ai donc repris la route le surlendemain, descendant vers les lacs Managua et Nicaragua, de retour dans la chaleur. J’ai « rendez-vous » à San Juan del Sur. Je m’arrête à Belén, ne pouvant en faire plus avant le coucher du soleil (et ne pouvant en faire plus tout court). Ce petit village n’a que l’église et le bureau du parti sandiniste d’ouverts en ce samedi tard. Je glisse ma tête dans le cadre de porte et demande où je pourrais bien passer la nuit tranquille. On me propose d’abord le trottoir du parc central. Poliment, j’explique que cela m’importe peu de dormir sur un trottoir, mais que je me déplace en vélo et que je m’inquiète de son confort, pouvant être dérangé par quelques curieux durant la nuit. On me présente le terrain à l’arrière du bureau, où les mangues tombent du ciel. Bien heureux de cette option, je m’installe en disant bonjour aux voisins. L’un d’eux vient me voir une heure plus tard et m’invite chez eux. Pas question que je dorme dehors, qu’il me dit. Me voilà devant une assiette d’oeufs brouillés et de gallo pinto (riz et fèves rouges), plat typique autant pour le petit-déjeuner que pour le soir, à regarder avec la famille les qualifications pour la coupe mondiale de baseball.

Familia BelenEn discutant, je les informe de mon souci mécanique qui gruge mon énergie et un des fils me dit qu’il y a un revendeur de pièces Shimano au marché de Rivas, à dix kilomètres. Rien n’arrive pour un rien. Le lendemain, il m’accompagne dans les rues bruyantes du marché pour me montrer cette petite boutique cachée derrière d’imposantes vendeuses de tortillas. Il y a les pièces, je reviendrai dans les prochains jours avec ma roue seulement à partir de San Juan del Sur.

Repos

cabanaJe reprends aussitôt la route, motivé à retrouver mon cousin dans cette petite ville balnéaire du Pacifique. Je resterai 8 jours où il vit, créchant dans une petite cabaña encore en construction que le propriétaire de l’endroit m’offre. Je ne connaissais pas beaucoup ce cousin, qui vit à l’extérieur du Québec depuis le milieu des années 90. Je l’ai rencontré à Dawson City, au Yukon, mais brièvement, car il travaillait ; j’avais passé le plus clair de mon temps avec sa femme et ses enfants. Hiver du Grand Nord oblige, il travaille intensément 8 mois par année. Il passe les 4 autres mois au Nicaragua avec la petite famille. Je me suis bien amusé et reposé, et les retrouver de nouveau était un plaisir.

L’école bilingue faite de déchets

Bien que je sois à une vingtaine de kilomètres du Costa Rica, je retourne sur mes pas à Rivas et prends un ferry au port de San Jorge qui m’amènera à l’île d’Ometepe. Cette île composée de deux volcans, dont l’un est toujours actif, se retrouve sur le lac Nicaragua. Une odeur de tranquillité m’envahit lors de mes premiers coups de pédale sur l’île. Les décibels sont moins élevés, tout va moins vite, la route me demande de ne pas trop forcer et de pédaler tranquilement. Le fumant volcan Concepción me regarde contourner sa base. Je passe la fin de l’après-midi et la nuit à Charco Verde, observant les pêcheurs au filet, les habitants lavant leurs habits dans le lac et les troupeaux d’animaux venant s’abreuver.

Je prendrai la journée pour faire les 30 kilomètres à Mérida, sur les rives de l’autre volcan. Je ferai une petite randonnée où j’ai vu mes premiers singes et m’arrêterai me tremper les orteils dans les fraîches eaux thermales d’Ojo de Agua.

puesta MeridaJ’envisageais très bien de passer les deux prochaines semaines à Mérida, récompensé chaque soir par un coucher de soleil spectaculaire et dans une ambiance mélangeant touristes et population locale. Le travail des volontaires à la Hacienda Mérida est normalement d’offrir des cours d’anglais aux touts petits en matinée et aux plus grands en après-midi. Cependant, j’arrivais en plein début des festivités de la Semaine sainte et de Pâques, prises pas mal au sérieux en Amérique latine. Difficile de motiver les jeunes à venir prendre des cours d’anglais, alors qu’il s’agit des dernières semaines de l’été (saison sèche), l’hiver (saison des pluies) se pointant le bout du nez quelques semaines plus tard.

Je ne me suis pourtant pas ennuyé, effectuant du travail à saveur administrative pour le projet de l’école primaire bilingue qui s’installe progressivement sur le site de l’hôtel. J’ai créé une base de données de contacts et j’ai monté le dossier d’admission pour inscrire l’organisation sur le site d’Omprakash, qui permettra de recruter plus de volontaires et de faire des campagnes de financement en y transitant des dons pour la construction des prochains édifices. Le premier est sur le point d’être fini et a la particularité d’être composé en partie de déchets. J’ai fait une vidéo pour eux qui explique le concept davantage.

httpvh://www.youtube.com/watch?v=yvS4NJRUMhc

Et j’ai eu de la visite ! Mélanie, une Québécoise que j’avais connu à Barcelone lors d’un échange interuniversitaire et qui travaille maintenant à l’Alliance Française de Managua est venue faire un tour à l’Hacienda Mérida avec une amie. Alejandro, le Mexicain chez qui j’avais passé le Nouvel An à Puebla, a passé ses vacances de Pâques au Nicaragua. Il m’a rejoint alors que je terminais mon volontariat et nous avons pris le ferry jusqu’à Granada, la plus vieille ville en terre ferme des Amériques, fondées en 1524.

Détours paisibles

GranadaEn allant à Granada, je retournais vers le nord, m’éloignant encore plus du Costa Rica. Cela m’a cependant permis de contourner le lac Nicaragua par l’est, d’abord sur une petite route où il faut emprunter une barge, traverser un petit pont en tôle et traverser d’autres rivières à gué, et ensuite sur une route pavée mais peu utilisée vers Juigalpa et San Carlos. Il y avait longtemps que je me suis retrouvé dans un secteur où les villages sont aussi éloignés les uns des autres et séparés par des espaces inhabités. Le soleil se couchant et rien d’humain aux alentours, j’ai installé ma tente dans le lit d’une rivière asséchée, sous un pont. Personne pour me déranger, mais j’ai dû me réfugier dans ma tente plus tôt que je pensais, car les chauves-souris se sont mises à sortir de partout sous le pont pour leur ronde nocturne, le tout sous les cris des singes au loin. Je ronflais à 19h30 et j’ai fait de beaux rêves.

De retour sur la route à 5 h 45, je suis arrivé en matinée à San Carlos. Cul-de-sac pour les voitures, mais je pourrai ficeler mon vélo sur un bateau qui remonte dans un décor digne d’un safari aquatique le Río Frío (qui n’a rien de froid) quelques kilomètres jusqu’à Los Chiles, au Costa Rica. La petite économie autour de ce transit frontalier en bateau s’écroulera l’an prochain, un pont étant en construction à grand coup de coopération internationale européenne, pour surmonter le large Río San Juan, empruntant ensuite une route améliorée le long du Río Frio. Ça aidera pour le transport alimentaire, disent les panneaux. À voir si cela aidera l’économie chambranlante du Nicaragua ou les multinationales fruitières installées au Costa Rica.


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One thought on “Nicaragua : rencontres, déchets et détours

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