Région de Magallanes y de la Antártica Chilena, Chili; province de Tierra del Fuego, Antártida e Islas del Atlántico Sur, Argentine
Ce ne sera pas une surprise de dire que nous arriverons à Ushuaia à la fin de cet article. Mais la dizaine de jours à partir de Puerto Natales sont tout de même dignes de quelques mentions.
Si avant, du côté argentin, les après-midi n’étaient tout de même pas trop froides, ici, du côté chilien près de la mer, c’est froid et humide à journée longue. Dormir sans abri n’est pas envisageable. Les 250 kilomètres entre Puerto Natales et Punta Arenas se sont faits en trois jours, dormant dans une grange à côté de la station de police à Morro Chico et dans une maison abandonnée la deuxième nuit. Décor de film d’horreur, mais bon, à deux nous avons surmonté les craintes que le fantôme du propriétaire (ou de l’oiseau mort sur la table de la cuisine) vienne nous hanter dans notre sommeil. Des flocons tombent quelques minutes dans le vent glacial. À Punta Arenas, je vois un courriel de compagnons de route qui viennent d’arriver à Ushuaia, passant une tempête de neige comme cadeau de dernière journée. Ça augure bien.
Punta Arenas est le port contrôlant le détroit de Megellan, une voie plus au nord du cap Horn où passent les bateaux pour passer de l’Atlantique au Pacifique et vice versa. L’aventure à vélo aurait pu se terminer ici, poussant jusqu’au Cabo San Isidro quelque 80 kilomètres au sud de Punta Arenas, point le plus au sud accessible sur une route sur le continent américain en tant que tel. Mais pourquoi pas ne pas aller un peu plus au sud sur une île ?
C’est à Punta Arenas que nous prenons un traversier pour Porvenir, sur l’île de la Terre de Feu. Si entre Puerto Natales et Punta Arenas nous nous sentions à la fin du monde dans cette région détachée de voies terrestres du reste du Chili (il faut obligatoirement passer par l’Argentine), sur Tierra del Fuego, nous nous sentions encore plus isolés. Les routes de graviers sont peu achalandées, du moins en ce début d’hiver. La route serpente le bord de mer, passant par quelques cabines de pêcheurs désertées. L’humain n’est pas prédominant, au profit de guanacos, des flamants roses et des dauphins que nous avons le plaisir d’admirer dans le silence des lieux. Le vent nous est favorable, nous aidant à apprécier encore plus l’endroit. Aux intersections des routes, des petites structures permettent de dormir ou manger à l’abri et plusieurs cyclistes y ont laissé leurs marques.
Une grande ligne droite sépare l’île entre le côté chilien et argentin. Nous arrivons à la douane alors que le soleil se couche, et l’homme contrôlant les voitures à l’arrivée nous dit d’emblée : « vous n’allez pas plus loin aujourd’hui, aller vous reposer là-bas ». « Là-bas » est officiellement une salle d’attente où personne n’attend. D’un commun accord avec tous les responsables du poste douanier argentin, les cyclistes sont plus que bienvenues à étaler leurs matelas de sol dans cette salle chauffée à bloc, avec une cuisinière à gaz (et même la théière) disponibles. Confort inespéré. L’accueil argentin nous soutiendra jusqu’à la fin.
Le côté argentin de l’île est plus développé que le côté chilien, et la route principale est pavée. Nous arrivons rapidement à Rio Grande, où nous sommes accueillis par Omar, père d’une Argentine vivant maintenant au Québec et qui depuis longtemps me suivait par mon site Internet. Rapidement nous nous sommes sentis comme faisant partie de la famille et Omar se fit un plaisir de nous amener faire des entrevues à la radio au sujet de notre aventure… à quatre jours de se terminer.
Partageant un mélange de désir d’arriver et de nostalgie à vouloir rester dans le rythme de la route, nous repartons en après-midi, campant à l’abri du vent derrière une grange. Le lendemain, direction Tolhuin, petite vile à mi-chemin entre Rio Grande et Ushuaia, un arrêt obligatoire maintes fois vénéré par des cyclistes rencontrés en direction nord. Le propriétaire et les collègues de la Panadería La Unión sont eux-mêmes cyclistes et mettent à disposition une pièce pour les cyclovoyageurs, entre l’entrepôt et la cuisine. Quoi de mieux que de se réveiller le matin à l’odeur du pain et de discuter (et déguster) avec les employés ?
Depuis que nous étions sur l’île de Terre de Feu, le paysage était de style pampa : pas beaucoup d’arbres et assez plat. En arrivant vers Tolhuin, les arbres se sont imposés, et nous voilà dans ce qu’il reste des Andes : la cordillère Darwin. C’est donc une dernière fois que nous traversons la chaîne de montagnes, dans une forêt d’automne resplendissante, pour descendre jusqu’à Ushuaia, sur le bord du canal Beagle.
Et nous y sommes, tout simplement. Le dicton dit que « Ce n’est pas la destination qui fait le voyage, mais le chemin ». Et ce chemin aura été de 30 700 kilomètres, réalisés en 22 mois. Nous avons le bonheur de rejoindre des amis venus nous rendre visite à l’arrivée. Changement radical de confort!
Et pour aller jusqu’au bout du bout, deux jours plus tard nous nous sommes rendus à Lapataia, dans le parc national Tierra del Fuego. J’ai enfin rencontré Stéphanie, que je n’avais jamais rencontré mais que je semblais déjà connaître pour avoir pédalé avec tellement de gens au cours des derniers mois qui l’avait connu. Elle a fait une deuxième fois le petit voyage à Lapataia avec nous. Là oui, à regarder cette baie qui regarde vers je ne sais où, mais où il n’y a plus grand monde qui vivent, je me suis dit que ça sentait la fin.
D’autre photos de Dominick à voir ici.
** On pourrait aller encore plus au sud, soit dit en passant. L’île de Navarino, de l’autre côté du canal Beagle, en territoire chilien comporte un village, Puerto Williams et quelques kilomètres de route. Un sentier plus ou moins clair se rendrait jusqu’à Puerto Toro, qui serait le hameau le plus au sud du monde avec une poignée d’habitants. On se rend sur l’île grâce à une petite embarcation dispendieuse à partir d’Ushuaia ou un bateau hebdomadaire s’y rend à partir de Punta Arenas. Mais bon, ce sera pour une autre fois. De toute façon, je suis parti d’Inuvik, le point le plus au nord accessible par route du Canada, mais pas du continent, celui-ci étant Prudhoe Bay, en Alaska, un bastion où les gens ne vivent là-bas que pour le pétrole. Je vais donc me contenter d’Ushuaia!