Il y a des choses qui se présentent plus ou moins bien en vidéo, encore moins en photos ; des éléments invisibles qui me bousculent dans tous les sens, des préoccupations instantanées où sortir la caméra est parfois le dernier de mes soucis, des sentiments, des émotions qui se vivent sur le moment. Le sud du Mexique a été riche, exaltant, pénible.
Jalouse d’une semaine à Puebla où je me suis peu préoccupé d’elle, ma bicyclette a crié vengeance lors de sa première grande descente de retour sur la route en faisant éclater un rayon de la roue arriéré. C’est le troisième du voyage. En plus, elle m’a fait cela du côté de la cassette, histoire de se faire sentir primordiale. J’avais l’outil pour enlever la cassette et ainsi changer le rayon, mais j’avais beau mettre toute la force de mes maigres bras de cycliste, rien ne bougeait. Heureusement, un petit atelier de réparation au village suivant a permis de tout remettre en place avec les moyens du bord.
Pour aller à Oaxaca, j’ai trouvé de petites routes bien tranquilles zigzaguant à flanc de montagnes, parfois accompagné de fins et longs cactus. Un camion de livraison de boissons gazeuses était arrêté sur le bord de la route et le conducteur s’affairait autour de celui-ci. Il faisait chaud. Je montais péniblement. Un ou deux kilomètres plus loin, je me retrouve en plein déversement de bouteilles de plastique. Le camion plus bas en avait perdu beaucoup. Mon taux de sucre a dû exploser cette journée-là et roter sans relâche au milieu de ces montagnes sèches était franchement satisfaisant.
Lors de la dernière journée avant Oaxaca, ce n’était plus les flancs de montagnes que je longeais, surfant plutôt sur les crêtes de montagnes qui m’offraient des vues plongeantes sur les vallées environnantes. De petits villages indigènes étaient juchés par-ci par-là et de curieux regards m’observaient gravir doucement les côtes, un oiseau de proie volant parfois pas trop loin à ma hauteur pour ensuite plonger dans la vallée. La descente à Oaxaca m’a donné l’eau à la bouche.
J’avais poussé la machine un peu fort sur ce segment et Oaxaca fut l’endroit idéal pour se reposer. J’ai découvert une capitale d’état paisible, aux places publiques à la végétation luxuriante, au bruyant marché central débordant de délices culinaires et à la rue piétonne transpirant de culture.
Je suis bel et bien dans le sud du Mexique, venant de passer une transition dans la végétation, dans l’humidité de l’air, dans la musique entendue dans les rues et l’allure des gens. Finis le chapeau de cowboy et bienvenus aux vêtements plus légers et aux femmes aux vêtements traditionnels autochtones.
J’allais rejoindre le niveau de la mer 1500 mètres plus bas en deux jours en sortant de Oaxaca, mais j’ai dû monter trois fois ce que j’allais descendre. Ce que j’appelais chaleur à Oaxaca n’était pas grand-chose à ce que je sentais en arrivant dans l’isthme de Tehuantepec, la plus mince bande de terre du Mexique entre le Pacifique et la mer des Caraïbes.
La route passait à 20 kilomètres de l’océan, et il ne m’en fallait pas beaucoup pour faire le petit détour jusqu’à Salina Cruz. Je dévalais la côte m’amenant au centre de la ville portuaire, rêvant déjà de planter mes pieds nus dans le sable chaud et me tremper dans l’océan, quand j’entendis un « crac » sortant de ma roue arrière. Un autre rayon de cassé. J’ai de la chance dans ma malchance, un magasin de vélo se trouvant à 200 mètres. En quittant mes sacoches dans le magasin, je remarque qu’il ne s’agit pas d’un rayon cassé : c’est la partie du moyeu central qui tient les rayons qui a tout simplement fendu.
Il faut changer la pièce. Cet atelier ne pouvait rien faire pour moi et on m’a recommandé à un second. En marchant mon vélo jusqu’à là, je m’imaginais nerveusement devoir rester ici des jours en attente de la livraison de la pièce. Ça pourrait être un pire endroit, mais je n’étais guère enchanté à faire ce surplace. Quel soulagement de voir le patron arriver et sortir de sous son comptoir ce qu’il me fallait, après avoir expliqué et réexpliqué mon problème à son employé incompétent. « Reviens à 14 h et ta roue sera refaite. » « C’est quoi le chemin de la plage ? », ai-je demandé, enthousiaste.
Un vent du nord se levait en quittant Salina Cruz avec mon nouveau moyeu, mais cela ne m’a pas empêché d’atteindre avant le coucher du soleil Juchitán, où un CouchSurfer expatrié britannique m’attendait. Cependant, à un moment sur la route, j’ai perdu le contrôle et le vent m’a fait tomber de l’accotement.
Peu de touristes s’arrêtent à Juchitán, mis à part quelques cyclistes éventés et des anthropologues curieux. L’isthme de Tehuantepec est peuplé d’une société matriarcale faisant contraste au reste du Mexique plutôt machiste. En effet, j’ai rarement vu des femmes avec cette confiance dans les yeux et cette assurance dans la démarche. De plus, les muxes, hommes portant les habits et les rôles féminins, ont un rôle important dans la société. Deux liens pour en apprendre davantage : The Society Pages et Ethnoscope.
Un hôte Warmshowers m’attendait à la fin de la journée et il m’avait écrit de ne pas hésiter à prendre un transport motorisé près de La Ventosa (la venteuse). Hors de question pour moi, et je quittai Juchitán avec une « brise » dans le visage. Des centaines d’éoliennes apparaissaient au loin. J’ai croisé un couple de Québécois à vélo et alors que nous nous informions de nos routes respectives, Talen, un Estonien, est arrivé dans la même direction que moi. Nous serons deux à partager ce calvaire.
À La Ventosa, la route tourne vers l’est, le vent nous prenait de biais. Trois fois je suis tombé de l’accotement. Jamais je n’avais senti un tel vent. Le bourdonnement du vent dans les éoliennes était entrecoupé de forts claquements, des bourrasques rendant l’équilibre sur un vélo un art de cirque. Si nous ne pédalions pas dans une position semi-oblique, supportés sur le côté par le vent, il fallait parfois se résoudre à marcher le vélo… quand alors une bourrasque se prend dans mes sacoches, me propulsant dans le bas côté, suivi par mon vélo faisant trois tonneaux.
Quand j’étais petit, lors de jours de vent, je revenais de l’école en sautant le plus haut possible dans l’espoir que le vent m’amène plus loin. Rêve réalisé.
Ce vent des Caraïbes, encore plus puissant en janvier, s’élance dans ce corridor, et déboule des montagnes jusqu’au Pacifique ; un 40 kilomètres de route qui a paru une éternité. C’était une course à obstacles invisibles, où l’instinct animal a pris le dessus, avec l’objectif de s’élancer vers l’avant pour se sortir de ce merdier.
J’étais bien content de retourner dans les montagnes le jour suivant, entrant dans l’état des Chiapas. Je présumais moins de vent, mais plus nous montions, plus la brise s’intensifiait. Alors que Talen et moi prenions une pause au bord de la route, Anita, une Allemande nous a rattrapés. Nous serons trois à partager cet enfer.
Au moins, la journée d’avant, la route était droite et le vent venait plus ou moins de la même direction. Ici, en plus des courbes et du dénivelé, le vent frappait les montagnes et rebondissait dans tout les sens, telles des vagues de vent. Nous étions dans une mer d’air. Ah oui, le paysage était merveilleux, nous pouvions parfois voir l’océan bien loin et bien bas plus nous montions, mais le plaisir était de courte durée. La roche de la montagne était parfois creusée pour faire passer la route, créant un corridor rocheux où le vent s’engouffrait sans prévenir. Deux fois le vélo d’Anita s’est tout simplement levé et retourné, la propulsant au sol. À chacun de ces corridors, l’un de nous trois se sacrifiait en s’élançant tête première dans l’espoir de le traverser indemne, les autres suivant ou débarquant du vélo pour marcher si ce n’était pas positif. Nous étions telles de petites souris dans cette immensité, tentant de sortir de ce labyrinthe de vent. Les choses ont fini par se calmer, l’instinct animal s’est apaisé et je me suis couché ce soir-là, le corps encore bercé par un vent imaginaire.
Tuxtla Gutiérrez, la capitale des Chiapas, est plutôt une ville commerciale, mais le CouchSurfer qui m’hébergeait m’a fait découvrir son quotidien que j’ai partagé pour quelques jours, en plus de m’amener voir le canyon Sumidero ainsi que Chiapa de Corzo, petite ville tout près terminant sa feria haute en couleurs. Talen s’est élancé vers le Yucatán et j’ai rejoint Anita qui était partie avant moi à San Cristobál de las Casas, afin de traverser ensemble la frontière guatémaltèque. Cette ville coloniale ne m’a pas autant interpellé que Oaxaca, mais la route pour s’y rendre, une montée de près de 1500 mètres sur 50 kilomètres, était mémorable, surmontant les lacets de route et passant des villages indigènes aux habitants vêtus d’habits traditionnels aux teintes pourpres.
Les montagnes nous ont amenés en deux jours à Ciudad Cuauhtémoc, à quatre kilomètres de la frontière que nous avons attendu le lendemain avant de traverser.
Si ce sont les éléments qui m’ont marqué ces derniers jours, je crois que ce sera les gens qui me marqueront au Guatemala. Je croyais qu’il y avait beaucoup de monde au Mexique, il y en a encore plus ici. Mes premières impressions de ce pays ont été fortes. Je n’ai pédalé que 2 jours avant de m’installer à Quetzaltenango pour mon premier arrêt volontariat.
Mais tout cela fera partie d’un prochain article.
Tu te rapproches sans cesse, poussé ou non par le vent, d’une autre Amérique que j’aime tant et qui a tant souffert.: Guatemala, Nicaragua,Honduras…
Je m’apprête à quitter Guillaume ce jeudi pur remonter un peu plus au nord , à Boaco et de là, je ne sais quel jour, je traverserai dans les montagnes du Honduras. J’y serai jusqu’au 12 mars.
Je suis tes déplacements. Tiens-moi au couran de ta destination autour du 1er mars. On se croisera peut-être…
Et bon vent Étienne! Tu fais des envieux par ici. Disons plutôt que tu as des admirateurs.
Nicole